C’est toujours utile de savoir comment on sait certaines choses. En science, on sait d’où viennent les connaissances. Je te propose donc de voir d’où est sortie la découverte de l’ADN. Et on va commencer par celui qui l’a remarqué en premier
Tu as l’impression que l’ADN, on le connaît depuis des siècles. Mais non. Il a été découvert récemment. Et pas besoin de considérer des « temps géologiques » pour s’en convaincre. Imagine-toi: on est en 1869, à Tübingen (Bade-Wurtemberg, Allemagne) dans le laboratoire d’un physiologiste et chimiste allemand, Félix Hoppe-Seyler —découvreur du rôle de l’hémoglobine dans la fixation et le transport de l’oxygène dans le sang [1] (références à la fin). https://fr.wikipedia.org/wiki/Felix_Hoppe-Seyler
Il s’y trouve alors un jeune biologiste et chimiste suisse, Friedrich Miescher, qui, tant bien que mal, tente de déterminer la composition chimique de tous les constituants de cellules humaines, notamment celle du noyau. https://fr.wikipedia.org/wiki/Friedrich_Miescher
A l’époque, personne n’avait la moindre idée du rôle du noyau. Pour se procurer des cellules humaines en quantités appréciables, Miescher écumait les infirmeries militaires et les hôpitaux et récupérait des bandages usagés imprégnés de pus.
Parce que là-dedans —dans le pus— il y a un très grand nombre de globules blancs, notamment des leucocytes, qui étaient tout à fait propices au genre d’études qu’il avait en tête. Il a alors laborieusement déterminé des protocoles précis pour détacher les cellules des bandages, sans les détruire, afin de les utiliser. Il est même parvenu à se débrouiller pour éliminer toutes les membranes extérieures des cellules, leur cytoplasme, et ne conserver que le noyau, qu’il voulait caractériser du point de vue chimique.
Autant dire que la mise au point des différentes étapes lui a pris un certain temps, mais il a réussi dans son entreprise. Ce faisant, ayant isolé les noyaux de ces leucocytes, il les soumit à différents traitements pour en extraire les différents constituants chimiques.
C’est alors qu’il remarqua qu’en acidifiant ses préparations, il s’en extrayait —par précipitation— une substance étrange, rappelant des mucilages, mais aux propriétés différentes des molécules biologiques déjà connues au XIXe siècle.
On connaissait déjà les sucres (les glucides), les lipides et les protéines (qu’on appelait encore protides ou protéides, ou encore albumines et albuminoïdes). Mais là, Miescher était tombé sur quelque chose qui possédait des propriétés chimiques suffisamment différentes pour qu’il commençât à se dire qu’il s’agissait peut-être d’un nouveau type de molécules. Puisqu’elle était issue du noyau, il l’appela nucléine. Il pensait alors qu’il pouvait s’agir d’un type particulier de protéine, sans pour autant s’enfermer dans ses préjugés.
Il mit quelques temps à se procurer davantage de bandages et donc de cellules pour extraire une plus grande quantité de noyaux à des fins d’analyses —qui, à l’époque nécessitaient de grandes quantités de matériel. Les analyses chimiques consistaient à détruire les molécules et déterminer quels atomes individuels les composaient et dans quelles proportions —on pouvait obtenir ce qu’on appelle aujourd’hui une « formule brute ». Et là, il s’aperçut que, comme les autres molécules biologiques, sa « nucléine » contenait du carbone, de l’hydrogène, de l’azote, de l’oxygène et surtout —chose qui n’était pas observée pour les protéines— une très grande proportion de phosphore! Il parvint même à déterminer que le phosphore présent dans la nucléine n’était pas une contamination due à la présence de phosphate (HPO4-), mais au fait que le phosphore était réellement lié, dans la structure de la nucléine, à ses composants organiques. C’était donc très nouveau. A tel point que son patron, Hoppe-Seyler, refusa de publier les résultats [1] avant de reproduire toutes les expériences de Miescher lui-même et confirmer ses découvertes. L’article parut en 1871, en parallèle de publications de Hoppe-Seyler confirmant que la nucléine existait bel et bien, avec sa composition étrange.
Miescher parvint même à montrer que la nucléine était présente dans toutes les cellules qu’il était parvenu à isoler et analyser. Comme il avait remarqué que la quantité de nucléine augmentait avant la division cellulaire, il postula qu’elle devait représenter une sorte de réserve de phosphore et de précurseurs organiques nécessaires à la reproduction cellulaire. Il n’y avait aucune connexion avec l’hérédité. Jusqu’aux années 1940, on croyait que les protéines étaient impliquées dans l’hérédité.
En fait, même si la nucléine a, plus tard, été identifiée comme étant de l’acide désoxyribonucléique (au début du XXe siècle), il est plus que probable que Miescher avait en réalité également extrait de l’acide ribonucléique (ARN) [2], ce qui fait de lui le premier à avoir découvert une nouvelle classe de molécules biologiques: les acides nucléiques, càd l’ADN et l’ARN. Leur rôle n’a été compris qu’après la Seconde Guerre Mondiale —ce qui est difficile à imaginer aujourd’hui, tant la génétique imprègne la pensée moderne.
Le nom « nucléine » a influencé celui qu’on a donné à cette famille de macromolécules biologiques. Mais l’ADN, même s’il contient le mot « nucléique », et bien qu’il soit présent dans le noyau des cellules eucaryotes est aussi présent chez les bactéries et les archées [« arkées »], qui n’en possèdent pas. Mais le nom, historique, est resté. L’ARN, de la même manière, n’est pas exclusivement —de loin pas!— nucléaire (dans le noyau).
On doit donc la découverte de l’ADN (et probablement de l’ARN) à Friedrich Miescher, mais l’idée et la confirmation que l’ADN est le support de l’hérédité et des gènes n’est venue que bien plus tard. Mais ceci est une autre histoire qu’on verra plus tard.
Je te propose donc le résumé suivant, tout en images, histoire de simplifier le propos ⬇️⬇️⬇️
[CONCLUSION] J’espère que cet aparté historique t’a plu. Il y en aura d’autres, sur l’ADN et sur l’ARN, pour comprendre comment on en est arrivé à ce qu’on sait aujourd’hui de l’expression des gènes.
[Références]
[1] Dahm, R. (2008) Discovering DNA : Friedrich Miescher and the early years of nucleic acids research, Hum Genet, 122, 565-581.
[2] Thess, A, Hoerr, I, et al. (2021) Historic nucleic acids isolated by F. Miescher contain RNA besides DNA, Biol Chem, 402(10), 1179-85
Originally tweeted by DuXpa6 (@duxpacis) on 07 November 2021.