On est en 1906, et on sait qu’il existe un truc dans le noyau des cellules, « l’acide nucléique ». Si t’as pas suivi le début (ça va se compliquer!), c’est par là: https://www.lechatsecouriste.fr/threads/twittos/duxpacis/decouverte-adn-2/
Miescher, Hoppe-Seyler, R. Altmann et A. Kossel ont bien bossé entre 1869 et 1906 et ont montré que l’« acide nucléique » est toujours composé d’un sucre, de phosphate et, en général, de 5 bases (A, T, G, C et U). Figure ⬇️⬇️⬇️
Mais ils n’ont pas la moindre idée de la manière dont ces constituants s’assemblent entre eux, et même SI ces trucs-là s’assemblent ou pas. Et ça se complique. Chaque chercheur parle de « son » acide nucléique. Ouais, c’était pas clair ; on ne savait pas si c’était le même dans tous les organes et/ou dans toutes les cellules. Chez la levure de bière (qu’on classait chez les plantes), on parlait d’acide nucléique de levure. Extrait du thymus d’animaux, c’était l’« acide thymonucléique ». Bref, tu vois, y avait beaucoup de noms.
Y avait, en revanche, les mêmes composants: phosphate, sucre et bases azotées. On avait même remarqué que dans l’ « acide thymonucléique », y avait seulement les bases A, G, C et T et chez la levure, pas ou peu de T, mais beaucoup de U. ⬇️⬇️⬇️
Du coup, on pensait que ça dépendait un peu des organismes d’où on les extrayait. En réalité, ils extrayaient deux trucs différents : ADN chez les animaux et ARN chez la levure et les plantes —l’ADN leur échappait chez ces derniers, pour des raisons techniques.
Personne ne savait qu’il y avait deux types de molécules chez tous les organismes (ADN et ARN). Mais à partir de 1909, un nouveau personnage fait son entrée et c’est LUI qui va se rendre compte de tout ça. Lentement. Très lentement.
Il s’appelait Phoebus A. T. Levene (1869-1940) ⬇️⬇️⬇️ , était originaire de Lituanie, et avait fait des études de médecine en Russie, ce qui l’amena à New York (Rockefeller Institute of Medical Research).
https://fr.wikipedia.org/wiki/Phoebus_Levene
Déjà, il disposait de meilleures techniques d’analyse chimique —il avait côtoyé Fischer et Kossel pendant sa formation, avec qui il avait appris pas mal de choses. Et en plus, il mit au point une nouvelle technique pour extraire et purifier l’ « acide nucléique » et des méthodes pour « détruire » cette substance de manière « séquentielle », morceau par morceau, plutôt que de la démolir en une fois, comme on faisait jusqu’à ce moment-là. En 1909, après moult expériences, il proposa que l’ « acide thymonucléique » se composât de « briques » assemblées en chaînes (Figure ⬇️). Chaque brique est constituée d’un phosphate, d’un sucre (il croit que c’est du xylose) et d’une base. Il appelle ça un « mononucléotide ». Comme y a 4 bases (A, T, G et C), t’as donc 4 mononucléotides possibles.
Et quand tu les enchaînes, ça donne des « polynucléotides ». Mais la manière dont il propose alors d’assembler les chaînes, c’est carrément faux. L’année suivante, il fait la même chose sur l’ « acide nucléique de levure » (Figure⬇️) et montre que c’est pareil.
Surtout, il découvre que chez la levure, le sucre, en fait, c’est du ribose. Là, Phoebus invente une nomenclature dont on va reparler un peu plus loin et qui initie l’utilisation des mots « nucléoTides », « nucléoSides », « polynucléotide », etc.
Après d’autres travaux, tout le monde va se convaincre (1914) que le ribose, c’est seulement dans l’acide nucléique des plantes (et les champignons) et il les baptisa acides ribonucléiques (« qui contiennent du ribose), ou, en acronyme, ARN.
Chez les animaux, on pensait à tort que le sucre des mononucléotides, c’était un « hexose » càd un sucre à 6 atomes de carbone. Mais, en réalité, ils se plantaient en beauté. Ouais, c’était nébuleux! Et les analyses ne permettaient pas de trancher.
La chose se débloqua à partir de 1923, lorsque Levene croisa la route d’un Prix Nobel russe soulagé de son portefeuille par des voleurs alors qu’il était en transit à New York: Ivan Pavlov. Oui, le mec du « réflexe pavlovien ».
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ivan_Pavlov
Lui et Levene découvrirent des enzymes de dégradation des acides nucléiques (des nucléases, dit-on), ce qui améliora considérablement la manière dont ils « dégradaient » de manière contrôlée et séquentielle les acides nucléiques… et leur analyse.
Ces enzymes, ça leur permet de voir (vers 1928) que dans l’acide thymonucléique, y a pas d’hexose, mais du désoxyribose, un dérivé du ribose. Du coup, on parle d’acide désoxyribonucléique (« qui contient du désoxyribose), ou ADN. J’espère que tu suis toujours! Figure⬇️
On se rend donc compte qu’il y a deux types d’acides nucléiques: l’un (ADN) qui contient du désoxyribose et l’autre (ARN) qui contient du ribose. C’est la première fois que la distinction apparaît. D’où une nouvelle nomenclature (figure⬇️)
Ils s’attaquèrent ensuite au problème des « liens » entre les briques (nucléotides). Je te passe les détails, mais vers 1935, Levene propose finalement la structure des « briques » et celle des « chaînes de briques » (polynucléotides) dans l’ADN. (Faut te concentrer⬇️)
Il invente, au passage, toute une nomenclature des « désoxyribonucléotides » (briques de l’ADN) et des « ribonucléotides » (briques de l’ARN). C’est celle qu’on utilise toujours aujourd’hui et que je te mets là (mais t’es pas obligé.e de t’infliger ça⬇️).
Par contre, on ne sait toujours pas à quoi l’ADN ou l’ARN servent dans la cellule. On finit par se rendre compte que les plantes aussi possèdent de l’ADN (et pas seulement de l’ARN) et que les animaux contiennent de l’ARN en plus de l’ADN.
Pour l’ARN, bien que les « briques » qu’il avait proposées eussent été déterminées correctement, les « liens » entre elles dans les chaînes, c’était plutôt n’importe quoi. Et ça, ça dure jusqu’en 1953. Oui. Exit les théories sur la manipulation de l’ARN avant cette date.
Levene ne le sut jamais, puisqu’il mourut en 1940. Il ne vécut pas non plus assez longtemps pour savoir que l’ADN est le support de l’information génétique, chose à laquelle il ne croyait pas, puisqu’il pensait que l’ADN était « une molécule ennuyeuse ».
Tu noteras qu’il n’est toujours pas question de double hélice. On croyait, et ça durera encore jusqu’en 1953, que l’ADN et l’ARN ne formaient que des chaînes uniques, et linéaires. Et aussi que ça ne servait pas à grand-chose (jusqu’en 1944 pour l’ADN).
On va s’arrêter là. La prochaine fois, si t’es toujours partant.e, on verra qui, et comment, on s’est rendu compte que l’ADN est une double hélice (1953). Parce que là, tu vois, on ne parlait que d’un seul brin (polynucléotide), jamais de deux. Suspens !
[REFERENCE]
Tu trouveras (presque) tout ce que j’ai raconté dans cette référence : Frixione, E, Ruiz-Zamarripa, L (2019) The « scientific catastrophe » in nucleic acids research that boosted molecular biology, J Biol Chem, 15;294(7):2249-2255.
Originally tweeted by DuXpa6 (@duxpacis) on 16 November 2021.