Qu’est-ce qu’un prion ? (Episode 3)

Aujourd’hui, va falloir que tu te familiarises avec la notion de repliement et de conformation des protéines. Accroche-toi, les prions, c’est juste après (enfin).

[INTRO] Je te conseille très fortement d’aller lire le thread sur les protéines que je te mets là⬇️, parce que sans ça, ça va devenir rapidement compliqué. Après ça, on va attaquer des histoires de repliement, parce que c’est la clé pour comprendre les prions.

Je t’ai déjà raconté que les protéines sont des assemblages les uns à la suite des autres d’acides aminés (AA), grâce à des liaisons qu’on appelle des liaisons peptidiques. Je t’avais donné l’exemple de la myoglobine⬇️.
Là, le thread:

Lorsque les protéines sont synthétisées par polymérisation (assemblage) d’AA les uns à la suite des autres, à mesure que la chaîne s’agrandit, ils s’organisent les uns par rapport aux autres et adoptent des « structures secondaires » en hélices, en brins, ou en boucles⬇️.

Là, tu vois une chaîne d’AA qui sort d’un ribosome en train de traduire un ARN messager. Dès que la chaîne s’extirpe (parce qu’elle grandit) du ribosome, elle se replie en fonction des propriétés des AA qui s’enchaînent, et se replie.

Donc, les hélices, les brins, les boucles peuvent s’organiser entre eux et former des paquets d’hélices, des « feuillets » de brins, et la chaîne d’AA tout entière finit par adopter une organisation caractéristique qu’on appelle un REPLIEMENT.

Le repliement, c’est l’architecture globale des brins, des hélices et la manière dont ils se disposent les uns par rapport aux autres. Le « repliement de type globine », c’est celui que tu retrouves dans la myoglobine humaine, du cachalot et dans l’hémoglobine aussi⬇️.

L’hémoglobine possède une séquence assez différente de celle de la myoglobine, et pourtant, les 2 adoptent le même repliement, encore une fois parce que les propriétés de cette chaîne d’AA reste similaire à celle de la chaîne de la myoglobine⬇️.

Mais le repliement, ce n’est pas quelque chose de figé. Les angles entre les « domaines » (les sous-repliements) peuvent changer, les positions fluctuer. Une protéine, c’est quelque chose qui n’est pas rigide, mais qui est dynamique.

Ici, je te mets une protéine de la bactérie Escherichia coli qu’on appelle Hsp70 (ou DnaK), et tu peux voir que certaines régions (domaines) peuvent changer d’orientation les unes par rapport aux autres⬇️. On appelle ça un changement de conformation (source: [1]).

Là⬇️, t’as l’exemple d’une enzyme, l’héxokinase, qui peut interagir avec le glucose (en rose) et, lorsque c’est le cas, elle se referme sur lui, le piège, ce qui favorise ensuite la réaction biochimique que l’héxokinase coordonne.

Un changement de conformation, c’est un changement des positions relatives de certaines structures. Mais tu remarques que les hélices restent des hélices, les brins restent des brins, les feuillets des feuillets. Y a pas de transformations des structures secondaires.

Ceci est une protéine humaine⬇️. Elle s’appelle PrP.

Là⬇️, je te mets une animation 3D que j’ai faite de la même structure pour que tu voies mieux son repliement (un bouquet de 3 hélices alpha et un feuillet de 2 brins beta avec des boucles non structurées et mobiles qui les relient).

Ici⬇️, c’est la même structure, mais avec le détail des acides aminés de la chaîne (sans les hydrogènes, sinon ce serait encore plus illisible). Je t’ai mis les rubans en transparence pour que tu voies la différence avec la simplification. C’est juste pour info.

Cette protéine, elle est produite par presque tous les types cellulaires ; on dit qu’elle est ubiquitaire (partout) [2][3]. On sait qu’elle est sécrétée à l’extérieur des cellules et qu’elle reste attachée à la membrane plasmique par une ancre moléculaire. Regarde là⬇️.

Son rôle n’est pas très bien connu, mais il semble qu’elle permette de recruter (par interaction type clé/serrure) d’autres protéines et participer à des régulations. On sait qu’elle intervient dans la bonne mise en place des « gaines de myélines » [2][3].

C’est-à-dire l’enveloppe qui protège les axones (le câblage) des neurones⬇️. Mais on n’en sait pas des tonnes sur le rôle biologique de PrP.

[ROULEMENT DE TAMBOURS] Et maintenant, on peut ENFIN parler de prions.

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Ce qu’on sait en revanche, c’est ce que PrP fait de pire. PrP est un PRION. C’est ELLE, l’agent pathogène responsable du kuru et impliquée dans la maladie de Creutzfeld-Jacob. Les encéphalopathies spongiformes humaines, c’est elle [4].

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Oui, une protéine humaine. Tout a fait. Il ne venait pas de nulle part, le kuru, ce mal étrange. L’agent pathogène, c’était une protéine. Juste une protéine. Qui venait des humains, et contaminait des humains lors de rituels funéraires endocannibales [5][6][7].

Et pour la maladie de Creutzfeld-Jacob, c’est pareil, c’est cette protéine aussi qui est responsable, qu’elle soit transmise par contagion ou qu’elle soit d’origine génétique. Mais ça on en parlera une autre fois.

Là, tout de suite, tu dois te demander : MAIS COMMENT C’EST POSSIBLE QU’UNE PROTEINE HUMAINE PUISSE ÊTRE UN AGENT PATHOGENE ? Ou du moins, comme peut-elle être néfaste, et, surtout contagieuse ?

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Pire ! Tikvah Alper, J. S. Griffith et Stanley Prusiner avaient raison. Il s’agissait bien d’une protéine contagieuse, transmissible et, surtout, capable de se propager et se multiplier TOUTE SEULE.

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Comment est-ce possible ? Déjà, PrP n’est pas pathogène en soi. Là, comme ça⬇️, avec ce repliement là⬇️, dans une cellule, elle est comme toute protéine de tes cellules: normale. Par contre, si elle change de repliement (pas de conformation, de REPLIEMENT), là…

Car c’est ça, le souci. PrP peut changer de REPLIEMENT. Elle peut passer de la structure en bouquet de 3 hélices+1 feuillet de deux brins à une protéine repliée presque exclusivement en brins bêta. Et c’est ÇA qui la rend dangereuse. C’est ça, le PRION.

Pourquoi et comment ? Pourquoi devient-elle néfaste ? Et surtout, comment peut-elle se REPRODUIRE et se PROPAGER ?! Comment peut-elle contaminer d’autres personnes ? Pourquoi la maladie de Creutzfeld-Jacob peut-elle être génétique (héréditaire) ou contagieuse ?

[FIN] Tout ça, tu le sauras ENFIN la fois prochaine. Je vais déjà te laisser digérer l’information. PrP, une protéine humaine (que tu as aussi) EST le problème et peut devenir un PRION. Et on va voir ça dans l’épisode 4.😇

[MERCI] d’avoir lu jusqu’ici, et j’espère, encore une fois, que tu es pas déçu(e). Mais là, je te ménage le suspens, je sais. La prochaine fois, promis, t’auras ta réponse. Tu sauras ce qu’est un prion, réellement, et comment il se « reproduit » sans génome.

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[REFERENCES]

[1] https://bio.libretexts.org/Bookshelves/Biochemistry/Fundamentals_of_Biochemistry_(LibreTexts)/01%3A_Unit_I-_Structure_and_Catalysis/04%3A_The_Three-Dimensional_Structure_of_Proteins/4.05%3A_Protein_Denaturation_and_Folding

[2] Linden R. (2017) The Biological Function of the Prion Protein: A Cell Surface Scaffold of Signaling Modules. Front Mol Neurosci;10:77. doi: 10.3389/fnmol.2017.00077, https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28373833/

[3] Wulf MA, Senatore A, Aguzzi A. (2017) The biological function of the cellular prion protein: an update. BMC Biol.;15(1):34. doi: 10.1186/s12915-017-0375-5, https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28464931/

[4] Scheckel C, Aguzzi A. (2018) Prions, prionoids and protein misfolding disorders. Nat Rev Genet.;19(7):405-418. doi: 10.1038/s41576-018-0011-4.

[5] Liberski PP, Sikorska B, Brown P. (2012) Kuru: the first prion disease, Adv Exp Med Biol;724:143-53

[6] Zabel MD, Reid C. (2015) A brief history of prions, Pathog Dis. 2015 Dec;73(9):ftv087. doi: 10.1093/femspd/ftv087.

[7] Berche, P. (2013) Histoire des prions, Revue de Biologie Médicale, Feuillets de biologie, 54(315), 53-62, https://www.revuebiologiemedicale.fr/images/Biologie_et_histoire/315_novembre_2013_Histoire_des_prions.pdf

Bon, là, c tout pour cette semaine. A plus !

Originally tweeted by DuXpa6 (@duxpacis) on 20 January 2022.