Qu’est-ce qu’un prion ? (Episode 5)

Comme j’ai eu pas mal de questions, je vais te faire un épisode sur ça: qu’est-ce qui provoque le changement de repliement d’une PrP « normale » en PrP/prion dans les cellules, comme ça, d’un coup? C’est parti ! ⬇️⬇️⬇️

Le mot PRION s’applique à la protéine PrP dont le repliement « normal » (qu’on appelle aussi la forme « cellulaire ») passe sous la forme d’un repliement prion. Il te faut donc OBLIGATOIREMENT une protéine PrP qui change de repliement [1] ⬇️.

La forme PrP/prion est résistante à la dégradation par les protéases, n’est donc plus recyclée par les cellules et interagit avec d’autres PrP normales, auxquelles elle « impose » son repliement PrP/prion. De ces interactions résultent des fibres amyloïdes⬇️ [2-5].

C’est l’accumulation de ces fibres⬇️ —qui ne sont pas dégradées non plus— pendant de nombreuses années qui, une fois un seuil de toxicité franchi, provoquent les symptômes, généralement neurodégénératifs et fatals, des maladies à prions [1][5].

Comme tous les animaux —y compris les humains— ont un gène PRPN [6][7] qui permet de synthétiser la protéine PrP « normale »⬇️, ils sont TOUS exposés au risque de maladies à prions. Parce que toutes ces PrP/normales se ressemblent en termes de repliement.

La capacité à passer sous forme prion, c une propriété intrinsèque de PrP. C comme ça. On ne peut rien y faire. Ça dépend de sa séquence, de son repliement « normal », de son extension flexible et de sa capacité à interagir avec des PrP/prions [1-5].

Si tu purifies la PrP/normale et que tu la mets en présence de fibrilles formées de PrP/prions in vitro, elle passe sous la forme PrP/prion. In vitro, ça veut dire dans un tube à essai. Ça montre que PrP/prion peut convertir PrP/normale [1-5].

Ceci explique qu’une contamination par des PrP/prions extérieurs (PrP/prion bovin pour la variante de la maladie de Creutzfeld-Jabob (vCJD), PrP/prion humain pour le kuru), tu développes une maladie à prions [6a, 6b].

Mais il y a des encéphalopathies spongiformes à prions (Maladie de Creutzfeld-Jakob, insomnie fatale familiale, syndrome de Gerstmann–Sträussler–Scheinker⬇️) qui ne sont PAS dues à des contaminations, mais quand même dues à des PrP/prions [6c]. D’où ça sort, ça?

La transition vers la forme PrP/prion est une propriété intrinsèque de PrP [7][8]. Seulement toutes les variantes de la PrP/normale n’ont pas la même propension (et donc le même risque) à passer spontanément (seules) au repliement PrP/prion.

In vitro (dans un tube à essai) avec des PrP/normales, tu peux obtenir des PrP/prions SANS ajouter de PrP/prions préexistants [9]. Peu efficace. La transition PrP/normale->PrP/prion est améliorée par la présence d’autres molécules [10-12a,12b].

Les lipides membranaires⬇️, par exemple, amélioreraient la transition in vitro. L’ARN aussi. Mais pas n’importe quels types d’ARN: des poly-adénosines. Les ARN microbiens ou double brin ne déclenchent pas la transition [10]. Et uniquement ceux de mammifères.

Les ARN sont chargés négativement et d’autres types de molécules chargées négativement déclenchent aussi la transition (sucres complexes comme l’héparane sulfate). ATTENTION, dans la cellule, tous les ARNm issus de la transcription des gènes possèdent des polyA.

[ATTENTION/ACHTUNG] Va pas interpréter/spéculer/délirer sur l’ARN et la transition PrP->prion. Ca fonctionne in vitro. Et avec plein de molécules, y compris l’ADN et d’autres choses polyanioniques (avec plein de charges négatives). Donc avec les membranes cellulaires aussi.

Alors pourquoi toutes les PrP/normales de tous les animaux n’effectuent pas la transition PrP/prion, puisqu’elles côtoient des polyA, sont attachées à des lipides membranaires et proches des sucres complexes censés favoriser leur transition?

La PrP est injectée dans le réticulum, où il n’y a pas d’ARN, avant d’être envoyée à la surface cellulaire où il n’y a pas non plus bcp d’ARN, puisqu’il y est instable (il est très facilement dégradé, chimiquement instable, surtout hors des cellules).

Alors comment?

➡️ La propension d’une PrP/normale à devenir spontanément (seule) un PrP/prion dépend SURTOUT de sa séquence.

➡️ Y a des variants de PrP qui sont beaucoup plus instables et susceptibles de devenir PrP/prion spontanément [13-20], sans prion préexistant.

Dans la pop. humaine, y a beaucoup de variations de la séquence du gène PRPN et donc de la protéine PrP. Certaines conduisent à une PrP plus susceptible d’effectuer la transition spontanément.
➡️ On parle de formes sporadiques de maladie à prions [18].

Les formes sporadiques [13-18] de maladies à prion se produisent à cause de mutations spontanées (de novo) dans une cellule (elles ne sont pas héritées génétiquement mais spontanées) qui produisent donc une variation à risque du gène PRPN (et donc de PrP).

Et il y a les variations génétiques transmissibles héréditairement [19][20]. Elles peuvent être les mêmes que les mutations sporadiques, sauf qu’elles sont transmises génétiquement (présentes de génération en génération dans les cellules sexuelles).

En clair:
➡️ Normalement, la PrP a très peu de chances de passer sous la forme PrP/prion spontanément (sans infection à prions) à l’échelle d’une vie humaine,

➡️ Sauf si la PrP possède des variations à risque. Alors la transition PEUT se produire. Ou pas. C la loterie.

Lorsque cela se produit, l’accumulation des PrP/prions en fibrilles amyloïdes prend des décennies avant déclenchement des symptômes, qui surviennent à un âge avancé (>60-70 ans). Ces maladies sont toujours à progression très lente.

Les formes sporadiques, génétiques et infectieuses conduisent généralement aux symptômes de la maladie de Creutzfeld-Jacob (CJD), mais certaines formes provoquent le syndrome de Gerstmann–Sträussler–Scheinker (GSS) ou l’insomnie fatale familiale (IFF).

Y a aussi des variations qui PROTEGENT de la transition. C’est le cas chez les chiens et les chevaux qui ne développent jamais de maladies à prions. Ils sont donc aussi insensibles à la contamination par des prions extérieurs.

La contamination, d’ailleurs. C’est simple. Il faut manger de la viande contaminée par un prion auquel tu es sensible (prion humain chez les cannibales, par ex.) ou prion bovin auquel nous sommes aussi sensibles. Ou alors, tu peux être contaminé par des instruments chirurgicaux contaminés, ou lors d’une transplantation d’organes (forme iatrogénique). Mais dans tous les cas, la transition dépend de la variante PrP que tu possèdes et, si elle est « sensible » à PrP/prion et peut être convertie…

Dans tous les cas, l’accumulation des fibres amyloïdes prend des décennies, jusqu’à provoquer des effets. Sauf si tu possèdes une PrP très sensible à la transition, comme ce fut le cas de certains Forés atteints du kuru à un très jeune âge [21].

Et là c’est fini

[FIN] J’espère que ça t’a un peu clarifié les idées. En tout cas, merci d’avoir lu jusque-là. Comme d’habitude, les références sont juste après. La prochaine fois, on changera de thématique pour varier, mais je reviendrai aux prions bientôt.

Done GIF

[REFERENCES]

[1] Scheckel C, Aguzzi A. (2018) Prions, prionoids and protein misfolding disorders. Nat Rev Genet.;19(7):405-418.

[2] Daskalov A, et al (2021) Structures of Pathological and Functional Amyloids and Prions, , Front Mol Neurosci.;14:670513.

[3] Spagnolli G, et al (2019) Full atomistic model of prion structure and conversion., PLoS Pathog.;15(7):e1007864.

[4] Glynn C, et al (2020) Cryo-EM structure of a human prion fibril with a hydrophobic, protease-resistant core, Nat Struct Mol Biol.;27(5):417-423.

[5] Kraus A, et al (2021) High-resolution structure and strain comparison of infectious mammalian prions, Mol Cell.;81(21):4540-4551.e6. doi: 10.1016/j.molcel.2021.08.011.

[6a] Ironside JW. Variant Creutzfeldt-Jakob disease. Haemophilia. 2010 Jul;16 Suppl 5:175-80.
[6b] Liberski PP, et al. Kuru: genes, cannibals and neuropathology. J Neuropathol Exp Neurol. 2012 Feb;71(2):92-103.

[7] Linden R. (2017) The Biological Function of the Prion Protein: A Cell Surface Scaffold of Signaling Modules. Front Mol Neurosci;10:77.

[8] Wulf MA, Senatore A, Aguzzi A. (2017) The biological function of the cellular prion protein: an update. BMC Biol.;15(1):34.

[9] Deleault NR, et al, Formation of native prions from minimal components in vitro. Proc Natl Acad Sci U S A. 2007 Jun 5;104(23):9741-6.

[10] Supattapone S. Cofactor molecules: Essential partners for infectious prions. Prog Mol Biol Transl Sci. 2020;175:53-75.

[11] Deleault NR, Lucassen RW, Supattapone S. RNA molecules stimulate prion protein conversion. Nature. 2003 Oct 16;425(6959):717-20.

[12a] Deleault NR et al. Protease-resistant prion protein amplification reconstituted with partially purified substrates. J Biol Chem. 2005;280(29):26873–26879
[12b] Gomes MP et al The role of RNA in mammalian prion protein conversion. Wiley Interdiscip Rev RNA. 2012 3(3):415-28

[13] Bagyinszky et al Characterization of mutations in PRNP gene and their possible roles in neurodegenerative diseases. Neuropsychiatr Dis Treat. 2018 Aug 14;14:2067-2085.

[14] Bernardi L, Bruni AC. Mutations in Prion Protein Gene: Int J Mol Sci. 2019 ;20(14):3606.

[15] Agarwal A, Rai SK, Avni A, Mukhopadhyay S. An intrinsically disordered pathological prion variant Y145Stop converts into self-seeding amyloids via liquid-liquid phase separation. Proc Natl Acad Sci U S A. 2021 ;118(45):e2100968118. doi: 10.1073/pnas.2100968118

[16] Asante EA, Linehan JM, et al. Spontaneous generation of prions and transmissible PrP amyloid in a humanised transgenic mouse model of A117V GSS. PLoS Biol. 2020 Jun 9;18(6):e3000725. doi: 10.1371/journal.pbio.3000725.

[17] Jackson WS, Borkowski AW, et al Spontaneous generation of prion infectivity in fatal familial insomnia knockin mice. Neuron. 2009 ;63(4):438-50.

[18] Zerr I, Parchi P. Sporadic Creutzfeldt-Jakob disease. Handb Clin Neurol. 2018;153:155-174.

[19] Sitammagari KK, Masood W. Creutzfeldt Jakob Disease. 2021 Nov 26. In: StatPearls [Internet]. Treasure Island (FL): StatPearls Publishing; 2022. PMID: 29939637.

[20] Schmitz M, et al. Hereditary Human Prion Diseases: an Update. Mol Neurobiol. 2017 Aug;54(6):4138-4149.

[21] Liberski PP, Sikorska B, Brown P. (2012) Kuru: the first prion disease, Adv Exp Med Biol;724:143-53. doi: 10.1007/978-1-4614-0653-2_12.

Merci à toi, si t’es arrivé(e) jusque-là. Promis, on va faire un pause prion. Faut bien un peu changer 😉

Originally tweeted by DuXpa6 (@duxpacis) on 26 January 2022.