Publications scientifiques: comment ça marche quand on est chercheur(se) ?
Histoire de casser un mythe. Un indice: pas de glamour, de strass, de paillettes, ni même d’argent à la clé. Et puis attention, c’est long !
Imaginons. Vous êtes chercheur(se), dans une équipe, et vous et vos collègues pensez que ça y est, c’est le moment, vous avez assez de résultats pour publier. Et vous ne pouvez pas ne pas les publier, puisque c’est au nombre d’article que vous serez évalué.
Alors vous vous lancez. Vous écrivez un manuscrit. Une introduction, qui reprend l’état de l’art, résume tout ce qui est connu et qui est nécessaire pour comprendre votre propos. Puis vient le matériel & méthodes, qui décrit précisément toutes les techniques les méthodes, les appareillages, les réglages, les conditions expérimentales que vous avez utilisés, afin que tous les autres labos capables de reproduire vos expériences pour les vérifier puissent le faire exactement de la même manière. La reproductibilité des résultats c’est important ; sans elle, AUCUN résultat n’est valable scientifiquement. Il DOIT être reproductible. Alors vous mettez les petits plats dans les grands, vous reprenez tout de A à Z et vous listez tout, de la manière la plus claire et précise possible.
Cette partie, vous l’écrivez, vos collègues ajoutent leurs techniques, vos collaborateurs aussi. Vous relisez, corrigez, clarifiez. C’est la partie la plus importante, car c’est celle qui permettra à vos confrères, collègues et concurrents de juger de la qualité de vos expériences et de la manière dont vous évaluez les biais possibles, les faux positifs, les faux négatifs, les expériences de vérification (contrôles positifs et négatifs). Vous devez même y ajouter les références des produits utilisés, au cas où la qualité d’un résultat dépendrait de la qualité —ou la mauvaise qualité— d’un lot de produit chimique ou d’un circuit intégré mal branché. On ne sait jamais ! TOUT doit être décrit avec précision, même les procédures exactes et les démarches.
« Vous ne devez pas ignorer les résultats qui ne vont pas dans votre sens »
Ensuite, vous décrivez vos résultats, et vous argumentez de leur pertinence, y compris celle des tests statistiques que vous utilisez, si vous le faites. Le but est de montrer que ces résultats sont pertinents et qu’ils ne sont pas dus à des biais expérimentaux.
Il faut donc exposer clairement et précisément comment vous avez contrôlé et vérifié que vos résultats ne dépendent pas des biais les plus courants et —si c’est nécessaire— de biais moins courants. Vous devez prouver que vos résultats sont solides c’est-à-dire robustes (qui ne dépendent pas de fluctuations statistiques), reproductibles par vous (il faut faire des réplicats, si possible) et indépendants des biais inhérents aux systèmes/appareillages/etc. utilisés.
Puis vous concluez, et vous argumentez pour montrer que c’est nouveau, que c’est sérieux, que c’est solide, et que c’est intéressant. Et vous mettez ça en parallèle avec toutes les autres recherches du domaine, celles qui montrent la même chose aussi bien que celles qui montrent le contraire. Et vous discutez pour expliquer pourquoi VOUS, vous penchez d’un côté ou de l’autre, en utilisant vos résultats et vos preuves de fiabilité. Vous ne DEVEZ PAS ignorer les résultats qui ne vont pas dans votre sens, ce serait
du « cherry picking » et le but de la conclusion, c’est PRECISEMENT de prendre en compte TOUS les résultats obtenus avant vous —en tout cas ceux qui sont accessibles et dont vous pouvez prendre connaissance. Ceux, aussi, dont la méthodologie claire et convaincante (pour tout le monde) permet de penser que leurs résultats sont fiables. Ce n’est pas une question d’auteurs, mais de fiabilité dans le sens où les résultats précédents doivent être à la fois traçables et vérifiables.
Bref, vous prenez en compte TOUT ce qui est connu, afin de montrer comment VOS résultats s’intègrent dans les connaissances en vigueur. Surtout si elles remettent en cause les connaissances en vigueur, d’ailleurs.
Pas parce qu’une « doxa » s’opposerait à vos résultats révolutionnaires mais parce qu’il faut bien expliquer pourquoi VOUS avez remarqué que ce qui était connu ne collait pas, et pourquoi AUCUN DES AUTRES ne l’avaient vu, malgré des recherches poussées, une expertise équivalente ou meilleure que la vôtre et parfois plus de moyens que vous. Parfois, ça tient à pas grand-chose. Un petit quelque chose qui se cache dans le matériel & méthodes et qui fait que VOUS avez contourné un problème que les autres n’avaient pas vu.
Et ça, ça se justifie et ça s’explique clairement dans la discussion. Elle est donc en général assez difficile à écrire, parce qu’il faut penser à tout ça. Ça demande une connaissance de la littérature et de l’expérience donc, de l’expertise… et du travail.
Et voilà, après relecture par tous les collègues, corrections, ajouts des références (il FAUT citer toutes les sources, sans exception, et ne pas en oublier), vous repassez sur l’article une dernière fois, car vous avez choisi le JOURNAL XYZ pour publier. ET XYZ demande une certaine mise en page, un certain format des figures, un code couleur, une structure du texte. Vous reprenez tout, vous mettez tout en page, vous refaites les figures, vous indiquez la contribution et les adresses de tous les participants.
Attention, vous ne DEVEZ PAS ajouter dans la liste des auteurs, des gens qui n’ont pas participé au travail. Participer au travail, ça veut dire « avoir fait des expériences », « avoir traité, trié, représenté et interprété les données », « écrire le manuscrit », « lire et corriger le manuscrit substantiellement », etc. Il ne suffit pas d’être le chef.
Finalement, vous déterminez l’ordre des auteurs dans la ligne, et là, les règles dépendent un peu de l’endroit où vous vous trouvez. En général, celles et ceux qui ont fait le travail expérimental se retrouvent devant, au début de la ligne d’auteurs, puis suivent, en contribution décroissante, les autres, et à la fin, se tient généralement celui/celle qui a chapeauté le travail, obtenu les financements, initié la recherche, etc.
Voilà, tout est prêt. Tout est au format exigé par XYZ. Il faut respecter ces desiderata, car le facteur d’impact de XYZ est de 35, et c’est élevé. Ils peuvent se permettre de vous envoyer balader si vous ne les prenez pas en compte. Du monde se bouscule au portillon.
Vous passez la journée à vous créer un compte d’auteur en ligne sur le site XYZ, et vous y téléchargez toutes les pièces demandées: manuscrit, figures, données brutes, lettre à l’éditeur (qui explique pourquoi vous méritez son attention et le droit d’être pris en compte).
Vous entrez les coordonnées de tous les auteurs: adresses professionnelles, universités, instituts, e-mails, etc. Plus il y a d’auteurs, et plus c’est long. Mais vous le faites, et à la fin de la journée, c’est envoyé à l’éditeur.
« On vérifie que les relecteurs ne sont pas en conflit d’intérêt. Souvent, ce sont vos concurrents »
L’éditeur, vous pouvez le choisir dans une liste en fonction de son domaine d’expertise, histoire qu’il/elle sache quand même un peu de quoi vous parlez lorsqu’iel décidera si votre article mérite d’être relu par vos pairs pour vérification ou non.
Bon, il n’y a personne de votre domaine. Il y a beaucoup de domaines couverts, mais pas le vôtre. Alors vous choisissez celui/celle qui semble avoir une expertise proche de celle qui serait nécessaire. Et c’est à lui/elle que vous adressez votre lettre.
Emballé, c’est pesé… et envoyé! Un petit onglet en ligne vous indique que votre manuscrit est bien envoyé, et qu’il est en attente d’évaluation par le comité éditorial. Le comité éditorial c’est l’ensemble des personnes qui vont décider si oui ou non votre article intéresse le journal et correspond à la ligne éditoriale (thématique, rigueur, etc.) AVANT de décider si oui ou non, il sera expertisé par des scientifiques compétents dans le domaine.
[INTERLUDE] Comme on est à peu près à la moitié du thread, et que c’est long, une petite pause avec une image de loutre mignonne pour détendre l’atmosphère serait utile. A poster ici!
Mais vous avez de la chance, toutes les lumières sont au vert et, quelques jours après, on vous indique que OUI, votre article part en « reviewing » (relecture). Les experts qui vont se pencher sur votre cas connaissent votre domaine. On vérifie même qu’ils ne sont pas en conflit d’intérêt, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas publié avec vous dans les 5 dernières années. Pourquoi? Parce qu’ils pourraient être partiaux.
Pourquoi ne pas éliminer d’office ceux avec qui vous avez déjà publié, même plus de 5 ans auparavant?
Parce que le nombre d’experts n’est pas infini, surtout dans des domaines très spécialisés. Et souvent, lors de la formation d’un chercheur (thèse, puis post-doctorat) il aura éventuellement déjà collaboré avec presque tous les experts de ce domaine restreint. C’est complexe.
Alors l’équipe éditoriale d’un journal sérieux choisit (dans l’idéal) les relecteurs les plus compétents et qui ont le moins collaboré avec les auteurs dans les dernières années. Souvent, ce sont vos concurrents. Et là aussi, il faut s’assurer qu’ils seront les plus impartiaux possible. Leur avis sera donc scruté par l’équipe éditoriale et l’éditeur en chef pour vérifier que les relecteurs, s’ils sont des concurrents, ne chercheront pas à vous éliminer du processus sous de faux prétextes —ou voler vos idées avant leur publication.
Mais vous avez bien travaillé, et après 3 à 4 semaines, les experts (2 à 4 personnes) renvoient leurs rapports. Vous n’avez que des sources à rajouter, du texte à corriger, et une petite expérience supplémentaire à réaliser pour clarifier certains résultats.
Vous avez 30 jours pour tout effectuer, corriger et améliorer. Ça aurait pu être pire. Les relecteurs auraient pu refuser la publication ou vous demander de refaire presque tout, surtout si vos résultats ne sont pas suffisamment rigoureux pour les convaincre. Car dans un article ce n’est ni vous-même, ni vos amis que vous devez convaincre. Mais des spécialistes avisés qui savent repérer des biais qui échapperaient à des non-spécialistes.Collègues, concurrents, même des non-spécialistes à l’œil affûté. Vous devez TOUS les convaincre.
Cela fait partie de l’objectivation. Si tout le monde parvient à la même conclusion, même en n’étant pas d’accord au départ, parce que les analyses sont bien construites et bien interprétées avec le moins de biais, on accède à quelque chose qui ne dépend plus de l’avis des experts ni de leur opinion (politique, idéologique, etc. puisque les relecteurs peuvent être de tout pays du monde). C’est un résultat objectif dans le sens où il ne dépend pas de qui le regarde. Et le travail de l’éditeur et des relecteurs, c’est théoriquement de veiller à détecter les fraudes, les abus, les connivences. De sorte que seuls des résultats qui ne dépendent pas de ces biais soient publiés. C’est évidemment l’idéal, et l’imperfection humaine est censée être compensée par le nombre de relecteurs. Mais pas que…
Bref les relecteurs doivent décider si les CONCLUSIONS PROPOSEES SONT EN ACCORD AVEC LES RESULTATS OBTENUS. Pas s’ils sont d’accord ou pas avec les auteurs. Et ça, c’est parfois compliqué.
Les relecteurs ne sont pas des employés de XYZ. Ce sont des chercheurs comme vous que XYZ choisit au besoin. D’ailleurs, vous « travaillez » peut être aussi comme relecteur chez XYZ par intermittence. Ce n’est PAS rémunéré. Vous relisez les études des autres GRATUITEMENT.
Expertiser un article, ça prend du temps. Beaucoup de temps, si vous voulez bien le faire. Il faut tout vérifier. Les résultats, les méthodes, les calculs, toutes les sources, les conflits d’intérêt, les références des financements. Tout. GRATUITEMENT.
Gratuitement et en parallèle (en PLUS) de votre vrai travail: la recherche —et l’enseignement si vous êtes universitaire. Il faut de deux à six ou sept jours pour bien relire un article, selon sa densité. Mais c’est comme ça, ça a toujours été comme ça.
[INTERLUDE] Tu trouves ça long? Moi aussi. Mais imagine ce que c’est quand tu es relecteur et que tu le fais gratuitement, sans contrepartie, et que c’est en plus de ton taf de la journée😇
« Vous payez 4000€ pour la publication »
Après quelques semaines, vous avez tout fini, et vous renvoyez votre manuscrit corrigé. Deux jours plus tard, les relecteurs donnent leur approbation. Vous allez être publiés dans XYZ. Mais avant, il va falloir PAYER.
XYZ demande 4000€ pour que vous ayez le droit de publier après relecture positive. Et vous pouvez ajouter 1500€ pour que l’article soit accessible librement à tous. Donc, vous payez les 5500€ parce que vous croyez au libre accès des connaissances
Les tarifs varient entre les journaux. Mais XYZ, c’est prestigieux, et ils demandent bcp parce que tout le monde veut y publier. Bref, vous cassez la tirelire du labo. Une somme pareille, tous les labos ne peuvent pas se la permettre, mais vous, vous avez les financements.
Donc vous payez. Et ce faisant, vous signez une charte qui précise que vous perdez tout ou partie de vos droits d’auteur. Les dessins, figures, textes, ne sont plus à vous, tout est à XYZ, moyennant qq subtilités et aussi qq deniers.
[INTERLUDE] XYZ vous demande: « Pas d’accord avec ça? Bah on en a 5000 autres qui attendent, et eux, ils payent. Alors si t’es pas content, tu vas publier chez ABC, avec son facteur d’impact de 0.05, ils seront ravis! »
Le chèque envoyé, on vous envoie une version mise en forme de votre article. Vous devez la relire. La corriger. Et ensuite, l’article sera publié en ligne ou en version papier, après quelques jours ou quelques semaines, tout dépend du journal.
Et voilà. Votre article est en ligne. Des centaines de milliers d’autres chercheurs vont le lire. Ils pourront, eux aussi, l’expertiser et décider s’ils sont convaincus ou non. Ils pourront aussi signaler des fraudes, des erreurs. De cette manière, la communauté toute entière peut encore juger collectivement de la qualité du travail. Le considérer comme vrai jusqu’à preuve du contraire, ou l’oublier pour sa médiocrité qui ne prouve rien. Normal, c le principe de la science
Et si vous ne payez pas les 1500€ pour accessibilité universelle? Eh bien vous payez 4000€ pour la publication, et votre article ne sera accessible qu’aux abonnés d’XYZ, ou à ceux qui payent l’article (entre 5 et 80€, tout dépend du journal).
En résumé, vous payez l’article pour pouvoir le publier, votre université (qui a financé vos recherches) paye l’abonnement pour y avoir accès (même pour les autres articles d’XYZ à qui vous venez de rapporter 4000€ sans aucune contrepartie) et, en plus, vous offrez un service d’expertise gratuit en tant que relecteur occasionnel pour XYZ qui, pour vous remercier vous offre un rabais de 5 ou 10 % sur le tarif de publication si vous envoyez un article chez eux. Mais pas toujours. Pas souvent, en fait.
Ah, oui ! Si vous publiez chez XYZ, vous serez relu comme tout le monde. C’est normal! C’est même nécessaire, et l’inverse serait de la fraude ou du copinage. On ne se soustrait pas à relecture, c’est le minimum syndical d’une étude scientifique.
Pour conclure: les scientifiques ne touchent AUCUN droit d’auteur sur les articles de recherche. Ils perdent même tout ou partie de leurs droits. Ils PAYENT pour publier une fois la relecture positive (et pas AVANT, sinon arnaque en vue)
Les relecteurs sont des scientifiques qui ne sont PAS payés par les journaux —c’est bénévole, quoi qu’on en pense, sauf très rares exceptions. Et je n’en connais pas personnellement.
Et oui, c’est un très mauvais système qui fait payer la recherche (et l’Etat, et les universités et donc les contribuables), payer la publication, qui bénéficie de l’expertise gratuite des meilleurs spécialistes et qui, en retour, fait payer des abonnements aux tarifs prohibitifs aux universités et instituts qui ont fourni les articles et l’argent qui font fonctionner lesdits journaux ainsi que les experts qui évaluent ces travaux.
Merci d’être arrivés jusqu’à la fin, et j’espère que cela aura éclairé votre lanterne sur ce qu’est une publication (ou du moins le processus suivi pour en publier une). Petite dédicace à @sarigue84 [note du webmaster: aka @chatsecouriste] et @Locuste_ parce que c’est toujours sympa de les lire.
Ah oui ! Et si ce système vous paraît injuste, et que vous pensez que les fruits de la recherche devraient être accessibles à tous, cette pétition lancée en 2020 est faite pour vous. Elle n’a reçu que 12000 signatures quand beaucoup plus seraient nécessaires.
Originally tweeted by DuXpa6 (@duxpacis) on 27 September 2021.